Le monde est en proie à de profonds changements globaux, à une transformation à la fois matérielle, sociale, économique, technologique, scientifique et spirituelle. Comment pouvons-nous accompagner ce changement et lui donner du sens? Comment souhaitons-nous vivre sur les plans personnel et collectif ? Comment pouvons-nous tendre vers la construction de nouveaux paradigmes de sociétés et d’économies plus durables, inclusifs et équitables?
Aujourd’hui, je souhaiterais aborder avec Christophe Cossé, l’impact des circonstances récentes sur l’évolution de la presse et sur la liberté d’expression ainsi que les raisons qui l’ont poussé à coproduire le documentaire Hold-up. Réalisé par Pierre Barnérias, ce film a pour objectif d’apporter une vision holistique et un éclairage critique sur la gestion de cette crise mais, depuis sa sortie, il suscite une pléthore de surréactions, de polémiques ainsi qu’une scission sociale et politique. Il s’avère difficile de parvenir à un équilibre entre les trois registres de la persuasion définis par Aristote : l’Ethos (la crédibilité), le Pathos (l’émotion) et le Logos (la logique). Certains voient, en effet, ce documentaire comme une tentative de manipulation, d’autres comme une incitation à la réflexion et à l’ouverture. Mais l’essentiel consiste à transcender cette division afin de se reconnecter à sa propre voix, une voix dépourvue de conditionnements, de croyances limitantes et de peurs.
Auteur et producteur de documentaires et de films (Tomawak Productions), Christophe Cossé a également une formation anthropologie sociale et psychologie clinique. À l’instar de Pierre Barnérias, – journaliste de formation, ancien grand reporter, producteur et réalisateur-, Christophe s’est toujours intéressé à la question de la désinformation, des outils de manipulation et de l’ingénierie sociale (dans le contexte de la sécurité de l’information, il s’agit d’une pratique de manipulation psychologique à des fins d’escroquerie). Comment prendre conscience que l’on peut utiliser consciemment notre libre-arbitre pour modifier notre perception du monde ? Nous tendons à oublier, qu’à chaque instant, nous pouvons choisir de nourrir – en temps et en énergie- des situations, des projets et des relations qui nous font évoluer. Mûs tous les deux par le désir de coconstruire un monde plus juste et plus humain, Christophe et Pierre nous démontrent qu’il est possible de créer des projets en harmonie avec nos convictions personnelles et professionnelles.
Force est de constater que le pouvoir est, aujourd’hui, détenu par le lobbying et qu’il est fortement lié au contrôle de l’information. La crise que nous traversons depuis quelques mois a mis en lumière les failles et les fragilités de notre démocratie tout en conduisant à une restriction notoire des libertés publiques et de nos droits les plus fondamentaux (libre circulation sur le territoire, droit au travail, liberté d’expression, droit à la vie privée, à la santé, etc.). Mais, il est plus inquiétant encore de voir que ces nouvelles mesures ont été acceptées et intégrées par les différentes populations, à l’échelle mondiale, avec une rapidité déconcertante et pratiquement sans aucune remise en question. La liberté ne devrait-elle pas être au cœur de la démocratie et de l’État de droit? Mais qui veillera au respect de la liberté si nous nous déresponsabilisons complètement et confions notre pouvoir personnel à des groupes qui éprouvent peu ou pas d’intérêt pour le bien commun ? Au cours de l’évolution de l’humanité, l’homme a gagné en liberté individuelle mais à quoi sert-elle si elle est exempte de référent et si l’on n’a plus de sens idéal pour façonner un autre monde ?
Soyons plus attentifs que jamais car nous vivons actuellement la transition d’un paradigme à un autre et le monde prométhéen 1qui est le nôtre depuis le siècle des Lumières touche à sa fin . Dans ce processus de transformation, chaque petite action compte pour éviter de basculer dans une dystopie digne de celles d’Aldous Huxley, de George Orwell ou encore de Ray Bradbury. Mais le « combat » ne se joue pas à l’extérieur, là où tous nos regards sont rivés. Il a lieu en chacun de nous, dans notre conscience, dans notre esprit et dans le regard que nous portons sur la réalité extérieure. Utilisons ces circonstances pour commencer à agir en conscience et avec cœur afin de commencer à poser les bases d’un monde plus solidaire, fondé sur la coopération et l’amour – le meilleur antidote à la peur -!
Comment et pourquoi est née l’idée de ce documentaire ?
Sortant de la production et de la réalisation de son dernier opus « Thanatos », documentaire sur les Expériences de Mort Imminente (EMI), Pierre a particulièrement été meurtri par le sort qui a été réservé à nos anciens, reclus dans leurs maisons de retraite, privés de tout : visites, tendresse, soins… En parallèle, le discours martial ambiant l’a alerté, les incohérences des décisions gouvernementales l’ont interrogé et bien vite, nous avons tous deux échangé sur l’impensable dystopie qui s’est déclenchée.
De mon côté, je me suis rapidement élevé, sur des blogs, contre toutes les mesures anticonstitutionnelles, antirépublicaines et liberticides. Et le décryptage du discours manipulateur et volontairement désinformatif n’a fait que me conforter dans ma résistance. Alors que Pierre alimentait sa chaîne ThanaTV de multiples interviews de professionnels de santé et de médecins sur les incohérences et aberrations, le livre du Pr Perronne (Y a-t-il une erreur qu’ILS n’ont pas commise?, Albin Michel) a été le déclencheur. Nous avons émis l’idée de faire un film au cœur de l’été, ne pouvant rester sans agir. L’immense travail de cet homme remarquable attestait de la véracité de nos doutes respectifs. C’est Pierre qui a fait le premier pas, en lançant une campagne de financement pour la réalisation d’un film dont l’exploitation première était prévue au cinéma. Je les ai rejoints peu après.
Quels objectifs poursuiviez-vous ? Qu’est-ce ce qui vous a le plus surpris ou choqué ces derniers mois ?
Notre but était d’apporter des regards différents, de donner une tribune à des femmes et des hommes pragmatiques, désintéressés, engagés, non seulement pour que la vérité jaillisse, mais aussi pour retrouver le bon sens, l’échange, le partage, le respect afin d’éveiller les consciences.
Ce qui nous a le plus choqué, outre les mensonges, les menaces, la manipulation et la corruption galopante, c’est l’obéissance servile à l’arbitraire, la déshumanisation, le renoncement à des libertés chèrement acquises pour la sécurité dite sanitaire. Que cette politique de santé nous soit imposée au détriment de notre souveraineté, de notre humanité et de nos institutions, sous des couverts pernicieux et fallacieux. Enfin ce qui nous trouble au plus profond, c’est l’absence totale d’empathie de celles et ceux censés gouverner le peuple, et leur mépris du genre humain. L’utilisation du Rivotril est, à cet égard, significative.
Qu’apporte le langage visuel par rapport à l’expression écrite ou orale ?
Le langage visuel est avant tout audio-visuel. Il touche de ce fait deux de nos sens de perception, et le message est plus perceptible, plus accessible. De plus, nous évoluons dans une société où l’image est prépondérante, l’information est plus facilement véhiculée par les supports de diffusions, multiples, audiovisuels.
Outre le mauvais classement de la France en ce qui concerne la question relative à la liberté des journalistes publié par l’organisation Reporters Sans Frontières (RSF), l’adoption récente de la loi sur la « Sécurité globale » (notamment l’article 24 ) interdit de filmer les forces de l’ordre. Restrictions de la liberté d’informer et volonté de transformer les journalistes en propagandistes : quel avenir pour le journalisme de demain ?
La presse n’a plus de statut de contrepouvoir. La presse indépendante n’est plus en France. Le simple fait de regarder les conseils d’administration des grands groupes de presse permet de constater que les actionnaires sont également les principaux soutiens financiers du gouvernement. Il est intéressant, dans cette crise plus politique que sanitaire, de constater que Gilead (laboratoire pharmaceutique américain) et BFM ont les mêmes actionnaires.
Avant d’évoquer l’avenir des journalistes, quel avenir pour les citoyens ? Dès lors que la vérité n’est pas libre, la liberté n’est pas vraie.
Adam Curtis, dans son documentaire « HyperNormalisation » 2 explique que depuis les années 1970, les gouvernements, le pouvoir financier et les utopistes technologiques ont construit une version plus simple du monde, un « monde factice » géré par le pouvoir économique et stabilisé par le pouvoir politique. Quelles stratégies, selon vous, ont été mises en place afin de modifier nos perceptions à notre insu ?
Toutes les stratégies de manipulation, désormais appelées communication, que révèlent les travaux de Chomsky et de Naomi Klein dans son ouvrage « La stratégie du Choc ».
Comme le soulignait déjà Hannah Arendt, il nous incombe à tous de nous questionner au sujet de notre responsabilité dans la mise en place d’un puissant système de contrôle social et politique. Mais comment agir concrètement sans faire le jeu de ces forces contrôlantes ?
Ce qui précède l’action est l’intention. Et cette intention prend sa source dans une prise de conscience. Il n’y a pas de maître sans esclave. Nous en revenons à La Boétie et à la servitude volontaire 3… Sans conscience, il ne peut y avoir de vrai choix, faire ce que je me dois. Ensuite, pour l’action concrète, c’est à chacun de définir, à la mesure de ses capacités, de ses valeurs, de ses choix, de sa conscience, d’agir en fonction de ce qui est bon pour lui, dans une démarche humaniste commune. Ce que les forces contrôlantes ne pourront jamais avoir, ni posséder, c’est notre propension à aimer, à penser, à réfléchir, à nous transcender.
La liberté ne peut évidemment se définir comme une simple absence de limites et il serait intéressant de revisiter le concept, la valeur et l’expérience de la liberté aujourd’hui. Selon vous, tout ce qui éteint la liberté est-il contraire à l’évolution ?
Au préalalable, qu’entend-on par liberté ? C’est une question fondamentale que de nombreux philosophes ont traitée. Chacun d’entre nous fait sa propre expérience de la liberté. À mon sens, il n’y a pas une liberté mais des libertés qui dépendent de notre environnement culturel, social, et psychologique.
Ma pensée est elle libre ? Elle est certes influencée par mon éducation, mon milieu social, culturel, mon expérience, mes connaissances, et dépend avant tout de mon Inconscient. Dès lors, puis-je avoir une pensée libre ? Est ce que la liberté est la négation de la soumission et de la dépendance ? Existe-t-il un absolu de liberté ? Ou doit-on arrêter le concept de la liberté de l’homme à disposer de sa personne et de ses biens sans entrave ? J’aime la notion physique de la liberté, un corps non soumis à des forces.
Ensuite, dans mon univers littéraire, j’adhère aussi bien à la notion de liberté selon Rousseau (qui est l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite) qu’à celle de l’existentialisme de Sartre, et surtout à celle de Spinoza estimant que l’idée même de la liberté est une illusion.
Dans cette période unique de l’histoire de l’humanité, je considère qu’être libre, c’est ne pas avoir peur.
Ainsi, en réponse à votre question, la liberté est, elle existe en tant que telle. Ce qui peut réduire une partie des libertés, c’est tout ce qui conditionne l’action, et l’expression de l’individu. Il demeure libre de penser, d’aimer. La liberté ne s’éteint jamais. Seulement son accès, selon ses propres choix, peut être limité. Et depuis Spinoza, les conditions de la liberté et leurs fluctuations ont toujours accompagné l’évolution.
Cioran a écrit « La conscience est bien plus que l’écharde, elle est le poignard dans la chair ». L’illusion est, en effet, moins douloureuse que la vérité. Est-ce que cela pourrait expliquer cette apathie au niveau mondial et l’acceptation collective de mesures contradictoires et autoritaires ?
L’apathie au niveau mondial trouve sa source dans la peur et l’ignorance.
En quoi cette obsession sécuritaire est-elle une entrave à l’évolution humaine ?
Deux termes, obsession et sécuritaire. Une obsession est une dépendance, un trouble déclenché par un conflit intérieur. L’aspect sécuritaire renvoie à la protection, à la défense, au repli, pour ne pas dire à l’enfermement. Les deux sont des réponses à la peur. Et siègent dans notre cerveau reptilien. C’est très archaïque. L’humanité a connu bien des périodes dites sécuritaires. Dans votre question vous soulevez une fois de plus l’évolution. Mais laquelle ?
Toute crise est une opportunité de changement qui peut favoriser la créativité. Pensez-vous que ce que nous traversons actuellement est une « bénédiction » pouvant engendrer une véritable transformation de l’être humain ?
Oui, fondamentalement.
L’acceptation et la foi en la bienveillance de la vie sont-elles les clés pour surmonter cette période de paranoïa collective ?
D’abord, il convient d’avoir conscience et du vivant, et de sa propre paranoïa. Schématiquement, la paranoïa, c’est la méfiance, la crainte, la défiance, la persécution. A cet égard, le complotisme est une sorte de paranoïa. Le meilleur moyen de faire fi de cette paranoïa est de vivre, d’agir, d’aller vers l’autre, de faire l’expérience de la vie, de sortir de sa propre croyance limitante qui nourrit cette paranoïa.
Notas/Notes
- Dans son analyse du mythe de Prométhée, Luc Bigé décrit symboliquement les valeurs développées par le siècle des Lumières : la croyance en un progrès infini qui apportera le bonheur aux hommes et les préviendra de l’obscurantisme. Mais ce mythe nous rappelle aussi que le Progrès apporte avec lui plusieurs maux, échappés de la boîte de Pandore, comme le travail et l’avidité. Faute de les avoir questionnés, ils contribuent aujourd’hui au déluge climatique qui fut déjà annoncé dans le mythe de Prométhée.
- À travers une rétrospective des transformations sociales, économiques, politiques et idéologiques majeures depuis les années soixante-dix, le réalisateur Adam Curtis nous offre, dans un style patchwork, une série de parallélismes et de connexions complexes et parfois surprenantes. Il évoque notamment la prise de contrôle du pouvoir économique au détriment du pouvoir politique, l’adoption du paradigme de simplification du monde reposant sur une vision manichéenne fallacieuse (ayant conduit à des alliances géopolitiques contre nature), la manipulation de l’opposition pour nourrir les systèmes de pouvoir en place ou encore l’échec de la fonction libératrice d’internet. Il soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Mais sa vision disruptive nous amène à porter un regard nouveau sur certaines « vérités historiques ».
- Ce texte consiste en un court réquisitoire contre l’absolutisme qui étonne par son érudition et par sa profondeur, alors qu’il a été rédigé par un jeune homme. Ce texte pose la question de la légitimité de toute autorité sur une population et essaie d’analyser les raisons de la soumission de celle-ci (rapport « domination-servitude »). Télécharger le texte ici